Marqueurs Somatiques : Quand le Corps Mémorise et Guide nos Décisions
- Groupe LVMA
- 11 mai
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 19 mai

1. Qu’est-ce qu’un marqueur somatique ?
Un marqueur somatique est une empreinte émotionnelle laissée dans le corps à la suite d’une expérience marquante. Elle se manifeste sous forme de réaction physique (gorge serrée, boule au ventre, jambes tremblantes…) et influence inconsciemment nos décisions futures.
➡️ Ces marqueurs sont encodés et stockés dans plusieurs régions cérébrales (insula, cortex préfrontal ventromédian, amygdale limbique…) et sont rappelés automatiquement lorsque des situations similaires sont perçues.
2. Quand et comment un événement devient-il un marqueur somatique ?
Trois conditions clés :
Une émotion forte (colère, honte, peur, tristesse, surprise…)
Une perception de menace ou d’insécurité
L’absence de régulation émotionnelle dans les heures ou jours qui suivent
🧠 À ce moment, le cerveau intègre et relie plusieurs dimensions de l’expérience :
le contexte (où, quand, avec qui…)
l’émotion ressentie
les réactions corporelles (frissons, tension, souffle coupé…)
La mémoire émotionnelle devient alors corporelle autant que cognitive.
3. Le rôle du cerveau dans la mémoire somatique
🔄 Une intégration multisensorielle
Le cerveau fonctionne comme un centre d’enregistrement holistique. Lors d’un événement marquant, plusieurs régions cérébrales collaborent :
🧠 L’insula – La conscience corporelle
Rôle : Interprète les signaux internes du corps (douleur, rythme cardiaque, viscères…)
Fonction : Rend les sensations conscientes (interoception)
Lien avec le marqueur : Crée une empreinte sensorielle précise
Exemple : Vous sentez un « nœud dans l’estomac » en entrant dans une pièce. L’insula détecte une réaction corporelle subtile liée à une expérience passée. Vous devenez vigilant, sans comprendre pourquoi.
🧠 Cortex préfrontal ventromédian – L’interface intuition-décision
Rôle : Intègre les ressentis corporels dans les choix
Fonction : Relie situations passées, émotions et conséquences
Lien avec l’intuition : Crée des raccourcis émotionnels → prises de décisions intuitives
Exemple : Vous hésitez entre deux candidats. L’un provoque un malaise diffus. Votre cortex préfrontal ventromédian réactive une mémoire émotionnelle liée à un ancien conflit avec un profil similaire.
🧠 Amygdale limbique & Hippocampe – Le duo alerte & contexte
Amygdale : Détecte les émotions intenses (peur, menace…)
Hippocampe : Mémorise les éléments contextuels (lieu, temps…)
Ensemble : Déclenchent une réponse émotionnelle conditionnée dès qu’un signal connu est détecté
Exemple : Un collaborateur explose en entendant le mot « performance ». L’amygdale l’associe à une humiliation passée. L’hippocampe se souvient du contexte, et la réaction se déclenche.
🧠 Tronc cérébral & Hypothalamus – Le pilote automatique du corps
Rôle : Déclenchent les réponses physiologiques involontaires
Fonction : Exécutent les ordres de stress ou d’alerte transmis par le cerveau émotionnel
Exemple : Une collaboratrice sent sa gorge se nouer en entretien. Le tronc cérébral et l’hypothalamus réactivent une ancienne mémoire corporelle liée à une figure d’autorité, déclenchant une réaction de stress immédiate.
4. Le circuit cerveau-corps : de l’événement au ressenti
Détection sensorielle → L’amygdale limbique évalue la charge émotionnelle
Ordre au corps → Tronc cérébral/hypothalamus activent les réactions
Réaction physiologique → Boule au ventre, gorge serrée…
Perception corporelle → L’insula capte les signaux
Analyse implicite → Le cortex préfrontal fait le lien avec le passé
Décision intuitive → Réaction sans réflexion consciente
5. Exemples d’ancrage somatique
Enfance :
Un enfant humilié ressent une chaleur au visage. L’émotion non exprimée s’imprime. Plus tard, chaque évaluation réactive la tension.
Vie professionnelle :
Un cadre critiqué sèchement ressent une oppression thoracique. Toute figure d’autorité déclenche une réaction similaire, même sans danger réel.
Prise de parole en public :
Une collaboratrice se fige au moment de prendre la parole devant un groupe. Sa gorge se serre, ses mains tremblent, elle sent son cœur s’emballer. Inconsciemment, elle réactive un souvenir d’adolescence où elle avait été moquée après une prise de parole maladroite. Le corps, via les marqueurs somatiques, rejoue cette scène passée pour la protéger d’une menace perçue.
Impact positif :
Un jeune manager, lors d'une présentation stratégique réussie, ressent un puissant sentiment de confiance accompagné d’une expansion thoracique et d’un enracinement dans ses appuis. Cette sensation, répétée au fil de ses succès, devient un marqueur somatique positif. Désormais, chaque prise de parole en public déclenche automatiquement ce ressenti de stabilité et de force intérieure, favorisant une posture d’assurance et de leadership naturel.
6. Identifier les marqueurs somatiques
Posez-vous deux questions clés :
Qu’est-ce que je ressens ?
Où est-ce que je le ressens dans mon corps ?
Cartographie émotionnelle typique :
Zone corporelle | Émotion probable |
Ventre | Peur, insécurité |
Gorge | Colère retenue, non-dits |
Poitrine | Tristesse, chagrin |
Épaules / nuque | Charge mentale, pression |
Dos | Surcharge émotionnelle, isolement |
7. Prévenir l’inscription d’un marqueur : une course contre l’encodage
Il existe une fenêtre temporelle cruciale pour éviter qu’un événement perturbant ne s’inscrive profondément :
Fenêtre | Délai | Objectif |
Critique | 0 à 6 heures | Accueillir l’émotion, mobiliser une régulation corporelle rapide |
Utile | 24 à 48 heures | Recontextualiser, verbaliser, donner du sens |
Au-delà | Après 48 heures | Le marqueur est potentiellement ancré ; un accompagnement plus profond sera nécessaire |
8. Peut-on désamorcer un marqueur somatique ?
✅ Oui, surtout si l’on intervient rapidement, mais même un marqueur déjà inscrit peut être transformé.
Comment ?
Lorsque l’empreinte émotionnelle est déjà présente, le coaching professionnel peut jouer un rôle clé. Il ne s’agit pas de thérapie, mais d’un accompagnement conscient, corporel et narratif, visant à restaurer le pouvoir d’agir.
En coaching, cela passe par :
La mise en lumière des déclencheurs : identifier les situations qui activent le marqueur
L’écoute du corps : accueillir les signaux corporels comme ressources d’analyse
La verbalisation guidée : nommer ce qui a été tu ou refoulé
La reconnexion au choix : sortir du réflexe de défense pour redevenir acteur
Des ancrages corporels : respiration, mouvement, posture pour sécuriser la présence
Exemple : Après un entretien difficile, un salarié parle à un collègue et fait une marche. Cette combinaison empêche l’ancrage du marqueur.
9. Prévention en entreprise : un enjeu managérial
Les environnements flous, tendus ou déshumanisés sont des incubateurs de marqueurs somatiques.
Bonnes pratiques managériales :
Clarifier les rôles et attentes
Donner des feedbacks fréquents
Écouter les signaux faibles
Offrir des espaces d’expression (rituels, coaching…)
Exemple : Un manager met en place des "retours à chaud" après chaque projet. Résultat : tensions désamorcées, ambiance apaisée, turnover en baisse.
10. Le rôle caché des marqueurs dans la décision
Nous croyons décider de façon rationnelle. En réalité, le corps influence profondément nos choix.
Selon Damasio, les marqueurs somatiques sont des signaux émotionnels silencieux qui orientent :
L’intuition
Les jugements
Les comportements d’évitement ou de blocage
🎯 Conclusion : écouter ce que le corps a enregistré
Les marqueurs somatiques sont comme des post-it émotionnels collés dans la mémoire corporelle. Les ignorer, c’est laisser le passé décider à notre place.
Les reconnaître, les comprendre, les traverser, c’est :
Reprendre le pouvoir sur ses décisions
Se libérer de schémas inconscients
Avancer avec plus de clarté et d’ancrage
Cela commence par un cadre où l’émotion est autorisée, entendue, accompagnée.
📚 Sources scientifiques et bibliographie
Travaux fondateurs
Antonio Damasio – L’erreur de Descartes ; Le sentiment même de soi ; Spinoza avait raison
Bechara, A. et al. (1997) – Science – Étude expérimentale sur les marqueurs somatiques
Neurosciences émotionnelles
Joseph LeDoux – The Emotional Brain
Daniel Siegel – The Developing Mind
Bessel van der Kolk – Le corps n’oublie rien
Stephen Porges – La théorie polyvagale
Approches complémentaires
Peter Levine – Waking the Tiger
Richard Schwartz – Internal Family Systems
Rick Hanson – The Buddha’s Brain
Articles & conférences
Critchley, H. D. et al. (2004) – Nature Neuroscience – Sur la conscience interoceptive
Podcast NPR – Interview Damasio (Hidden Brain)
TED Talk – Stephen Porges – How your emotions change the shape of your heart
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